Le rouge est la seule couleur qui vaille la peine. C'est ma couleur préférée.
Le bleu est beau aussi, mais rien à voir avec le rouge. Le rouge est la couleur du ciel, la couleur de Ciel. S'il a une âme, j'en suis sûre, elle est rouge. Le rouge veut tout dire, le rouge est puissant, c'est la couleur qui a le plus de force, le plus de sens.
Rouge ...
Ciel ...
Ciel rouge ...
J'ai vu la peinture, j'ai vu les feuilles blanches, le reste est allé tout seul. J'ai barbouillé mon papier jusqu'à ne plus voir de blanc. Le blanc c'est le vide, c'est le rien, c'est la fuite du tout. Le blanc c'est ce qu'il y a dans ma tête. Un blanc trop grand, fatiguant. J'essaie d'y mettre des mots, d'y garder des images, mais le blanc est plus fort. Il me prend tout et ne garde rien. Sauf le rouge. Le rouge est plus fort que le blanc. Plus vif, plus beau.
J'ai recommencé. Je transformais chaque feuille blanche en rouge. Parce que c'était comme ça que ça devait être. Je le sentais. le blanc est sournois, il est fourbe, il est dangereux. Le blanc dévore et prend la place du reste. Dans ma tête il a avalé toutes les autres couleurs. Mais le rouge est revenu.
J'ai voulu mettre du rouge sur ma robe, le rouge, c'est la vérité, mais je me suis fait gronder. Je ne veux pas me faire gronder. je ne veux pas leur faire de la peine. Et je n'arrive pas à leur expliquer que le blanc les avale eux aussi. Il les retranche de moi. Il me les ôte tandis que je fais des efforts pour leur garder une place. c'est dur. Et je n'arrive pas à leur expliquer car le blanc dévore mes mots aussi. Et eux ont besoin de mots pour me comprendre. Je dois mettre mes mots à l'abri si je veux pourvoir les utiliser, les libérer plus tard. Je dois lutter contre le blanc en moi, tout le temps. Alors j'évite de parler. mais même alors je dois me battre. Le blanc fouille tout mon être pour retrouver et me voler ce que je lui cache.
Mais le rouge...
Je ne laisserai pas le rouge être dévoré à son tour. Le rouge est trop ... trop important pour m'être enlevé de nouveau. J'ai toujours réussi à en garder un éclat, minuscule comme un grain de sable. Je le sais maintenant. je l'ai gardé et je continuerai.
Mais pour cela je dois en mettre partout. le rouge doit combattre le blanc. Il le faut.
Petit à petit, en barbouillant les grandes feuilles, une autre idée m'est venue. Une image floue, incertaine, qui ne voulait rien dire. Mais j'ignore pourquoi, j'ai eu envie de la voir quand même. J'ai pris une nouvelle feuille, toute blanche, et une mine graphite noire. Je me sentais bizarre, la tête me tournait un peu. J'ai posé la mine sur le papier ... et mon bras s'est animé tout seul ! Ma main courait sur la page, la mine crissait et laissait des traces précises sur le velin. Sous mon regard un peu perdu, une forme se dessinait : un visage. Qui ? Il était encore trop tôt pour le dire. Je laissais mon esprit flou animer ma main. C'était très bizarre car j'ignorais de qui je faisais le portrait mais j'avais pourtant les détails du personnage en tête. Son oeil rieur, son bandeau - rouge! - son air chafouin, ses cheveux en bataille ...
Quand je regardai le dessin fini, il ne m'évoqua rien. C'était une personne mais pas une de celles de la maison. C'était un inconnu. Un garçon qui n'existait pas, sorti tout droit de mon imagination. Un garçon inconnu. Une goutte s'écrasa sur la feuille. Surprise je levais la tête, mais il ne pleuvait pas. Une deuxième goutte atterrit sur le dessin. Je baissai les yeux et observai de nouvelles perles d'eau venir entâcher le portrait de l'inconnu. D'où venaient elles ? Levant la main pour repousser une mèche de mes cheveux, je sentis que le coin de mes yeux était humide. Je passais ma main sur mes cils et remarquai qu'ils étaient imbibés. Ca alors ... est-ce que je pleurais ? Sans même m'en rendre compte ? Mais pourquoi ?
Je n'en ai aucune idée, pourtant je ne peux m'empêcher de le dessiner encore et encore ...