Chapitre 4 ~ Nuit écarlate
Vêtue d'une robe d'adepte laissant son dos à découvert, la marionnette fut chargée dans le carrosse. Arkonius fit entasser sur elle des coussins de satin rouge et des étoffes pour cacher sa présence.
Le cocher était l'un des meilleurs gardes à sa solde et la seule escorte qu'il se permit. Il devait rester discret. Si quiconque apprenait l'existence des messes noires et surtout que lui-même, archiprêtre et fervent adorateur de Dieu y participait activement, c'en serait fini de sa position. Le peuple ne le suivrait plus. Et il ne pourrait mener à bien son rêve : les croisades contre les shalos. Il exécrait ces êtres qui se terraient loin dans leurs grottes. Des vermines. Des parasites. Dont il réussirait à se débarrasser un jour. Il en avait fait le serment.
Le carrosse sombre avançait bon train sur la route cahoteuse. Le trajet se déroulait bien, même si il semblait long à l'archiprêtre impatient. Ne sachant comment s'occuper, il gardait les yeux rivés sur la marionnette. Seule une fine main blanche dépassait de sous les coussins, ainsi qu'une paire d'yeux bleus exprimant maintenant la résignation et non plus cette peur qui excitait tant Arkonius. L'immonde se passa la langue sur les lèvres en se remémorant leurs agréables ébats. Avec une expression sadique, il se dit qu'il pouvait bien en profiter encore une fois… surtout que ce serait la dernière. Valnor ne lui en voudrait pas trop d'avoir encore un peu torturé l'ange avant sa fin si proche.
Avec une expression démente, il tendit la main vers elle et le frisson de panique qui la parcourut au même moment le réjouit. Cette ultime fois serait la meilleure de toutes. Il en était certain.
Ensuite tout se passa très vite.
Quelqu'un s'introduisit dans le carrosse. Si rapidement et silencieusement qu'Arkonius n'eut pas le temps de réagir. Ni de crier, du reste. D'un seul geste, le nouveau venu l'égorgea et l'archiprêtre s'écroula en gargouillant et en bavant des bulles de sang.
La silhouette disparut aussitôt, emportant avec elle la tête de sa victime dont la toge immaculée était maintenant carmin. Les lourds bijoux d'or avaient pris une teinte semblable.
La jeune fille sous les coussins n'avait pas bougé. Mais elle n'avait rien manqué de ce qui s'était déroulé sous ses yeux. Elle avait vu la mise à mort, le délicat profil de son auteur et surtout, le foulard écarlate qui masquait une partie de son visage.
Le regard bleu redevint vivace. Son bourreau n'était plus. L'homme au foulard écarlate l'en avait délivrée. Se laisser mourir après cela eut été une insulte à son acte de bravoure.
Le carrosse d'arrêta. On avait aussi ôté la vie du cocher. Mais on lui avait laissé sa tête. Avec un effort de volonté, la jeune fille se traina en dehors de la cabine et s'écroula au sol. Percluse de douleur, elle était pour l'instant incapable de se relever. Encore moins de marcher. Ses yeux bleus cherchaient l'homme au foulard rouge. Avec tristesse elle réalisa qu'il était parti. Sans l'attendre. Et dans son état elle était incapable de le suivre.
Elle ferma les yeux et respira l'air frais de la nuit.
L'histoire que je voulais vous conter est terminée. Moi qui sais tout ce qui s'est passé, je peux vous garantir la véracité de mes dires. Je n'ai rien inventé. Elle a réellement subi ces choses.
Pour pouvoir en parler avec une telle certitude, sachez que je suis la partie de son esprit qui se rappelle de tout ça. Peut être vous demandez vous comment elle a pu survivre après cela ? Toute personne ayant vécu la même chose aurait perdu la raison ou se serait donné la mort. Et ce n'est pas la simple image de son sauveur au foulard écarlate qui lui a redonné goût à la vie. Celui-ci étant déjà reparti.
En fait, c'est moi. Moi qui ai décidé de me replier sur moi-même pour ne plus la laisser accéder aux souvenirs de cette période. Ces souvenirs au-delà de la douleur.
Avant de me refermer, je lui ai soufflé un mot. Un mot qui signifie « brisée » dans le langage ancien des poètes. Un mot qui fait songer aux pétales de fleurs aussi. Le premier mot qu'elle prononça depuis bien longtemps.
Fanaa…
bien fait pour lui na.