La tempête qui faisait rage avait obligé tout le monde à se barricader à l’intérieur. Par un temps pareil, il était impossible à quiconque de sortir sans risquer d’être emporté – et gelé – par une violente bourrasque.

Bien à l’abri derrière les épaisseurs des murs, portes et volets, les habitants d’Illymir et les clients des auberges s’enfoncèrent dans le sommeil (souvent agité) comme pour se protéger des éléments déchaînés qui hurlaient à l’extérieur.

Brutalement, la tempête cessa. La nuit se fit d’un seul coup aussi calme qu’elle avait été agitée. La neige arrêta de tomber et les nuages filèrent vers d’autres cieux afin de laisser la place à … Shua.

Parfaitement ronde et pleine, la lune grenat – par certains surnommée l’œil de Valnor – semblait se pavaner, seule au milieu de l’étendue céleste. De son trône incarnat, elle voyait tout et pouvait façonner le monde à son image : la neige immaculée s’étant teintée de vermillon et chacun de ses cristaux reflétant les rayons carmins, la blancheur des montagnes d’Eronn avait disparu pour refléter l'inquiétante nuance de l'astre cramoisi.

Partout où l’œil se posait, il ne voyait que du rouge : les routes, les toits, les sommets, toute la montagne. La moindre surface de neige semblait imbibée de sang frais.

Il n’y avait plus un souffle d’air et malgré le froid ambiant, on avait la sensation d’étouffer. L’effet de pleine lune de Shua était chaque fois impressionnant mais ici, dans les montagnes, l’expression « nuit sanglante » dont on l’affublait prenait tout son sens.

Ce fut le contraste entre les coups sourds de la tempête et ce violent silence qui rendit plus désagréable et oppressant le sommeil des uns et des autres. Et ce fut cette sensation d’oppression qui fit ouvrir ses yeux à Adweliwen la voleuse. Cela, ainsi que la lumière pourpre provenant de la fenêtre qui plongeait la suite médiovienne dans une ambiance malsaine. Qui avait bien pu ouvrir les volets ? Avant même de tourner la tête, elle sut que la place de Fanaa serait vide. La jeune fille bondit hors du lit et fonça vers la fenêtre entrouverte d'où filtrait un courant d'air glacial. Ecartant les battants, Adweliwen se pencha et repéra des empreintes de pas dans la neige vermeille, mais aucune silhouette nulle part. Depuis combien de temps la poupée était elle partie ? Comment avait elle pu sortir sans réveiller la voleuse ? Et où était elle allée ? Elle devait la retrouver sans perdre un instant. Son instinct maternel l’avertissait de l’imminence d’un danger.