Jérémie s'ennuyait. Il essuya une larme au coin de son oeil. Que
Georges lui manquait !
Et ce foutu train qui n'avait pas moins de 4h45 de retard !
Jérémie se roula en boule et tenta de
s'endormir, espérant ainsi faire passer le temps plus vite. Mais le sommeil ne
vint pas si aisément ; à sa place, des réminiscences, des images, des
souvenirs… Georges ! Oh Georges…
Les yeux clos sur le fauteuil plutôt
inconfortable du TGV, Jérémie reniflait. Une larme coula sur sa joue. Quelque
chose lui gratouilla la fesse. Son portable qui vibrait.
Un message ! Serait-ce Georges ?
« SFR
vous invite au grand concours de gobage de flan de l'été, venez gober… »
… Définitivement, ce n'était pas Georges.
Jérémie tenta de l'imaginer en train de
gober ce tas gélatineux plein de caramel dégueulasse qu'il avait toujours
détesté, mais cela suffit à peine à lui tirer un demi-sourire qui se changea
vite en demi-soupir.
Il observa les gens autour de lui,
mollement avachis et résignés à leur sort. Indifférents. Certains riaient même.
Comment pouvaient-ils être à ce point insensibles à l'absence de Georges ?
Comment pouvaient-ils ne pas ressentir ce manque, comment pouvaient-ils rire
alors qu'il n'était pas là ?
Il fusilla du regard son voisin qui
gloussait convulsivement devant ce qui semblait être, au vu des acteurs aussi
convaincants qu'un canard en mousse, à une comédie familiale française.
Georges… Il se rappela son rire si
communicatif, ses yeux pétillants, ses fossettes, et consulta machinalement son
portable…
Toujours rien, sa messagerie restait aussi
vide que le cerveau de ses voisines, et il commençait sérieusement à envisager
la crise de nerfs quand… une apparition. Ni plus ni moins. Grâce, sveltesse,
yeux d'ébène… L'inconnu se pencha vers lui…
« Tu peux arrêter de renifler ?
C'est super agaçant et dégoûtant ! »
Aie. Ca fait mal le retour sur Terre.
Puis l'apollon aux iris insondables se
retourna et s'éloigna, laissant le regard de Jérémie descendre le long du dos
pour arriver à… Il grimaça – deux gants de toilette. Et voilà comment tout
gâcher. Les poches arrière retombaient de façon flasque comme si l'arrière du
pantalon ne recouvrait… rien ! Rien à voir avec le petit derrière de
Georges, ferme et rond. Un délice. A croquer. Vraiment.
Rien à voir avec ce faux beau gosse à
la mords-moi-le-nœud. De toute façon, personne ne valait Georges. Personne. Pas
même Jérémie lui-même.
Lui qui l'avait si honteusement trahi.
Il avait… Oh, quand il y repensait, il tremblait de honte et de rage contre
lui-même. Il avait embrassé quelqu'un d'autre et… une fille qui plus est.
Bien sûr, il avait bu et trop en plus.
Mais l'ébriété n'excusait pas tout et Georges non plus. Il était à cette même
soirée et les avait vus, Jérémie et la… Il déglutit… fille.
Et ses yeux clairs d'habitude charmants et rieurs brillaient de
déception, de mauvaise surprise, de chagrin.
Alors, Georges s'était détourné et
avait quitté la soirée.
Jérémie l'avait suivi, bien sûr, il l'avait vu monter dans sa
voiture et démarrer. Il avait alors couru (ou du moins essayé). Plaquant ses
deux mains sur le capot, il s'était écrié :
" Georges !
Ce n'est pas ce que…"
Et il avait vomi. Son foie gorgé de
vodka, martini et whisky n'avait pas apprécié les deux pas de course. Mortifié,
Jérémie avait alors vu Georges faire vrombir son moteur et prendre la route
avec sa nouvelle déco.
Georges rentrait chez lui. A Rennes.
Pour ne plus jamais revoir Jérémie.
Ses yeux se remplirent de larmes… Oui, il
avait été pathétique ce soir-là, et que dire de ce magnifique final… La voiture
dont Georges était si fier, portant la trace de sa honte !
En y repensant, le fait que Georges ait passé une journée entière à
la laver jusqu'à ce qu'elle étincelle au soleil n'était peut-être pas étranger
à sa mauvaise humeur.
Et si ce n'était que mauvaise humeur…
Habituellement, Jérémie adorait mettre
Georges aux limites de la colère, pour le simple plaisir de voir ses yeux
s'assombrir, ses mâchoires se crisper, son corps se tendre… Et pour le plaisir
de se faire pardonner après…
Là, non, il avait été si différent, froid,
glacé, en le recevant chez lui quelques jours plus tard. Ce rendez-vous obtenu
à force de supplications avait laissé Jérémie anéanti.
Georges s'était montré sec, cassant, plus distant que s'il se
tenait sur la Lune.
Et, comble d'ironie, comme pour bien signifier que tout était fini,
il avait servi des sandwichs au thon, sachant très bien que Jérémie les
détestait.
C'est ce dernier détail anodin qui, plus
que le reste, avait réduit Jérémie au silence, renonçant à plaider sa cause et
ne voyant aucun moyen d'attendrir Georges.
Il était parti, hébété, vide, comme un zombie.
Puis il s'était dit qu'il l'oublierait,
que ce n'était pas ce grand imbécile qui allait lui manquer, avec son caractère
de cochon, sa perpétuelle indifférence, sa manie de séduire tout ce qui passait
même sans le vouloir… Son corps délicieusement musclé… son sourire… son
intelligence… son humour…
Et il avait réussi. Parfaitement. Oublié pendant… allez, cinq
minutes !
Il fallait s'y faire. Georges était
l'homme de sa vie, et s'il fallait se battre, lutter, le re-séduire, il le
ferait.
"
Parfaitement,
il sera à moi !"
Son voisin sursauta, surpris.
« Pardon Monsieur », marmonna-t-il, gêné de l'avoir
apostrophé et, il s'en rendait compte, de lui avoir agrippé le genou.
« … a pas idée, j'vous jure… » Entendit-il vaguement en
se replongeant dans sa rêverie.
*Georges… d'Geowdje… Giorgio…*
Il fut interrompu par l'annonce
triomphante de l'arrivée en gare de Rennes. Il se déplia avec l'impression
d'être un mouchoir usagé au fond d'une poche, et sortit de ladite poche d'un
pas qu'il espérait conquérant.
Georges… J'arrive !
par Soyinka et Elyra ^^