~ L'histoire de Fealisèn Chandlune ~
Introduction - les habitants du Ringem
Cette nuit-là, dans le ciel d’Adreis, les trois lunes – Cerune la verte, Larios la bleue et Shua la rouge – étaient pleines. Fait encore plus rare, un étrange halo aux tons violacés laissait deviner les contours d’une quatrième lune, placée exactement entre les trois autres mais beaucoup, beaucoup plus éloignée qu’elles.
Cette lune violette n’existait pas vraiment, elle n’était que le fruit d’une illusion d’optique due à divers phénomènes cosmiques. Mais pour ceux qui la regardaient ce soir-là, son apparition était signe d’une nuit spéciale, celle qu’ils appelaient, la nuit du Souvenir …
Un grand feu brûlait et autour de lui, dix sept hommes et femmes étaient rassemblés. Assis en tailleur, ils chuchotaient entre eux. L’une des femmes jeta une poignée de poudre au brasier qui crépita de flammes violettes. Le silence se fit et un homme dans la force de l’âge se leva. Il fit lentement le tour du cercle en regardant chacun de ceux qui se trouvaient là. Ses yeux jaunes brillaient de cette lueur paternelle qui mettait en confiance et forçait le respect. Lorsqu’il eut terminé sa ronde, il fit face à ceux qui constituaient sa famille, son peuple, son clan. D’une voix profonde et chaude, il se mit à raconter ce que tous savaient déjà… Ainsi était la coutume.
« Tout a commencé pour nous à l’époque où les peuples lunaires existaient encore. Notre Aïeul, que nous appelons Grand Père car il fut un grand homme et qu’il est père de notre lignée, mais que nous évitons d’appeler l’Ancêtre car il ne faudrait pas qu’il sorte de sa tombe pour nous tirer les oreilles, … »
La petite remarque déclencha des rires, sinon des sourires. Meneluin ne contait pas le Souvenir aussi solennellement que d’autres, pourtant il le respectait autant qu’eux. Mais leur famille n’avait pas une vie facile dans la vallée et la moindre occasion de détente ne pouvait être que bénéfique, selon lui.
De fait, tous appréciaient de pouvoir, ne serait-ce qu’un peu, penser à autre chose qu’à leur survie.
Meneluin reprit :
« Il y a fort longtemps, donc, Grand Père, qui se passionnait pour tout se qui touchait de près ou de loin à la voyance, fit une prédiction. Il annonça à qui voulait l’entendre que la fin de tout ce qu’ils avaient connu approchait. Il parla des trois savants soi-disant sages qui seraient à l’origine de ce désastre, mais il ne fut pas pris au sérieux et même rejeté de son ordre. Quand bien même il aurait eu raison, quel intérêt y avait il à s'inquiéter d'une catastrophe qui ne toucherait que les générations suivantes? Bien qu’on l’eut pris pour un fou à l’époque, il était indéniable que Grand Père avait réellement les pouvoirs d’un grand sorcier. Mais avant sa vision il avait été trop discret pour être remarqué et écouté comme il se devait. Sur la lune, nul n’entendit plus parler de lui.
Pourtant il ne disparut pas de la surface du monde, restant chez lui à s’occuper d’agrandir et réunir sa famille.
Un jour naquit une petite fille. L’Aïeul rassembla toute la famille autour du berceau pour fêter l’événement. Une naissance n’était en soi rien d’incroyable, même si c’était toujours un heureux événement. Nos ancêtres se demandaient la raison de cette réunion quand le nourrisson ouvrit de grands yeux violets et… parla !
Notre petit prodige prononça ses premiers mots :
Les lunes chantent. Les hommes qui vont détruire le monde sont nés. Il faut se mettre à l’abri. Tel est le chant des lunes.
Tous se concertèrent alors. Un tiers de la famille ne crut pas à cette histoire et se désintéressa de Grand Père. Loin de s’en offenser, ce dernier préféra se concentrer sur ceux qui restaient.
Ces filles aux yeux violets sont mon présent pour notre lignée. Il faudra toujours les protéger en attendant celle qui aura un rôle décisif dans notre histoire. Mes enfants, il vous faut partir, il faut quitter Larios ! Vous devez vous mettre à l’abri sur Adreis, c’est la seule chose à faire !
Il fut décidé que les plus âgés ne feraient pas partie du voyage, pas plus que les indécis. Ce qui laissait quand même une quarantaine de personnes participant au projet. Le jour du départ, l’Aïeul mourut, sans avoir donné plus de détails quant à ce rôle des filles aux yeux violets. C’est ainsi que nos aïeux quittèrent pour toujours leur ancienne vie et qu’ils arrivèrent ici, dans le Ringem.
La vie fut loin d’y être facile. Dans cette vallée morte depuis longtemps, nul ne vivait sinon les spectres et divers monstres. Il fallut se battre pour s'y faire une place. De plus, habitués au confort ainsi qu'aux avancées technologiques et magiques de leur berceau d’origine, nos aëux avaient énormément de mal à se faire à leur nouveau mode de vie. La période d’acclimatation fut probablement la plus difficile. Il y eut des pertes, des doutes. L’elixia avait été scellée en Adreis et cet élément magique avec lequel les lunaires avaient toujours vécu fut, pour eux, le manque le plus cruel.
Mais notre famille est courageuse et elle survécut. Ce fut difficile mais elle y parvint. Preuve en est notre présence en ce jour. Quand le dernier de nos ancêtres lunaires eut rendu son souffle ultime, nous, natifs adreniens décidâmes de nous donner un nouveau nom : nous serions le clan des Vendiver, protecteurs des oracles aux yeux violets que nous nommâmes Chandlune... »
... à suivre ...